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pauvres émigrants : ils s’en allaient comme ces cercueils ignorés qu’accompagnent les seuls parents en pleurs.

« On avait craint, en réunissant une trop grande foule sous le toit du père Landry, d’éveiller l’attention des autorités qui commençaient à tenir l’oreille ouverte, même à Grand Pré. Arrivés sur la grève, il se fit un peu plus de bruit : l’installation des femmes et des enfants et de tous les objets de ménage, au milieu des ténèbres et de l’aveuglement que produisent les larmes, entraîna quelque désordre. On s’appelait à voix basse, on préparait la manœuvre, on dégageait les amarres. Balthazar fut le dernier à s’embarquer. Il pressait Pouponne sur sa poitrine, couvrait de baisers ses yeux remplis de larmes et répétait :

– « Prends courage, ma bien-aimée ! dans trois semaines je serai de retour.

« Peu-à-peu, tout bruit cessa. On entendit encore quelques voix qui se disaient adieu sur divers tons de la gamme de douleurs… on entendit aussi les cris des enfants troublés dans leur sommeil. Pauvres petits ! une brise froide et humide passait