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CORINNE OU L’ITALIE

vérité, reprit le comte d’Erfeuil, c’est bien assez, selon moi, pour être sûr d’être aimé ; mais puisque vous voulez mieux, vous aurez mieux : j’ai réservé le plus fort pour la fin. Le prince Castel-Forte est arrivé, et il a raconté toute votre histoire d’Ancone, sans savoir que c’était de vous dont il parlait : il l’a racontée avec beaucoup de feu et d’imagination, autant que j’en puis juger, grâce aux deux leçons d’italien que j’ai prises ; mais il y a tant de mots français dans les langues étrangères, que nous les comprenons presque toutes, même sans les savoir. D’ailleurs la physionomie de Corinne m’aurait expliqué ce que je n’entendais pas. On y lisait si visiblement l’agitation de son cœur ! elle ne respirait pas, de peur de perdre un seul mot ; et quand elle demanda si l’on savait le nom de cet Anglais, son anxiété était telle, qu’il était bien facile de juger combien elle craignait qu’un autre nom que le vôtre ne fût prononcé.

Le prince Castel-Forte dit qu’il ignorait quel était cet Anglais ; et Corinne, se retournant avec vivacité vers moi, s’écria : — N’est-il pas vrai, monsieur, que c’est lord Nelvil ? — Oui, madame, lui répondis-je, c’est lui ; et Corinne alors fondit en larmes. Elle n’avait pas pleuré pendant l’histoire ; qu’y avait-il donc dans le nom du