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CORINNE OU L’ITALIE

le remarqua, et bientôt à ses traits, à la couleur de ses cheveux, à son costume, à sa taille élevée, a toutes ses manières enfin, elle le reconnut pour un Anglais. Le deuil qu’il portait, et sa physionomie pleine de tristesse la frappèrent. Son regard alors attaché sur elle semblait lui faire doucement des reproches ; elle devina les pensées qui l’occupaient, et se sentit le besoin de le satisfaire en parlant du bonheur avec moins d’assurance, en consacrant à la mort quelques vers au milieu d’une fête. Elle reprit donc sa lyre dans ce dessein, fit rentrer dans le silence toute l’assemblée par les sons touchans et prolongés qu’elle tira de son instrument, et recommença ainsi :

« Il est des peines cependant que notre ciel consolateur ne saurait effacer ; mais dans quel séjour les regrets peuvent-ils porter à l’ame une impression plus douce et plus noble que dans ces lieux !

Ailleurs les vivans trouvent à peine assez de place pour leurs rapides courses et leurs ardens désirs ; ici les ruines, les déserts, les palais inhabités, laissent aux ombres un vaste espace. Rome maintenant n’est-elle pas la patrie des tombeaux !

Le Colisée, les obélisques, toutes les mer-