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CORINNE OU L’ITALIE

au dehors de vous, les obstacles qu’elle rencontre.

La musique double l’idée que nous avons des facultés de notre ame ; quand on l’entend, on se sent capable des plus nobles efforts. C’est par elle qu’on marche à la mort avec enthousiasme ; elle a l’heureuse impuissance d’exprimer aucun sentiment bas, aucun artifice, aucun mensonge. Le malheur même, dans le langage de la musique, est sans amertume, sans déchirement, sans irritation. La musique soulève doucement le poids qu’on a presque toujours sur le cœur, quand on est capable d’affections sérieuses et profondes ; ce poids qui se confond quelquefois avec le sentiment même de l’existence, tant la douleur qu’il cause est habituelle, il semble qu’en écoutant des sons purs et délicieux on est prêt à saisir le secret du Créateur, à pénétrer le mystère de la vie. Aucune parole ne peut exprimer cette impression : car les paroles se traînent après les impressions primitives, comme les traducteurs en prose sur les pas des poëtes. Il n’y a que le regard qui puisse en donner quelque idée ; le regard de ce qu’on aime, long-temps attaché sur vous, et pénétrant par degrés tellement dans votre cœur, qu’il faut à la fin baisser les yeux pour se dérober à un