Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome I, 1807.djvu/309

Cette page a été validée par deux contributeurs.
305
CORINNE OU L’ITALIE

aimait, s’il était aimé, s’il recevait par la nature ou par les beaux-arts une impression nouvelle, il embellissait les traits de son héros par ses souvenirs et par ses affections. Il savait ainsi traduire aux regards tous les sentimens de son ame. La douleur dans nos temps modernes, au milieu de notre état social si froid et si oppressif, est ce qu’il y a de plus noble dans l’homme ; et, de nos jours, qui n’aurait pas souffert, n’aurait jamais senti ni pensé. Mais il y avait dans l’antiquité quelque chose de plus noble que la douleur, c’était le calme héroïque, c’était le sentiment de sa force qui pouvait se développer au milieu d’institutions franches et libres. Les plus belles statues des Grecs n’ont presque jamais indiqué que le repos. Le Laocoon et la Niobé sont les seules qui peignent des douleurs violentes ; mais c’est la vengeance du ciel qu’elles rappellent toutes les deux, et non les passions nées dans le cœur humain. L’être moral avait une organisation si saine chez les anciens, l’air circulait si librement dans leur large poitrine, et l’ordre politique était si bien en harmonie avec les facultés, qu’il n’existait presque jamais, comme de notre temps, des ames mal à l’aise : cet état fait découvrir beaucoup d’idées fines, mais ne fournit point aux arts, et parti-