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CORINNE OU L’ITALIE

il n’en est pas moins vrai qu’Alfieri n’a pas créé ce qu’on pourrait appeler un théâtre italien, c’est-à-dire des tragédies dans lesquelles on trouvât un mérite particulier à l’Italie. Et même il n’a pas caractérisé les mœurs des pays et des siècles qu’il a peints. Sa conjuration des Pazzi, Virginie, Philippe second, sont admirables par l’élévation et la force des idées, mais on y voit toujours l’empreinte d’Alfieri, et non celle des nations et des temps qu’il met en scène. Bien que l’esprit français et celui d’Alfieri n’aient pas la moindre analogie, ils se ressemblent en ceci que tous les deux font porter leurs propres couleurs à tous les sujets qu’ils traitent.

Le comte d’Erfeuil entendant parler de l’esprit français prit la parole. Il nous serait impossible, dit-il, de supporter sur la scène les inconséquences des Grecs, ni les monstruosités de Shakespeare ; les Français ont un goût trop pur pour cela. Notre théâtre est le modèle de la délicatesse et de l’élégance, c’est là ce qui le distingue ; et ce serait nous plonger dans la barbarie, que de vouloir introduire rien d’étranger parmi nous. — Autant vaudrait, dit Corinne en souriant, élever autour de vous la grande muraille de la Chine. Il y a sûrement de rares beautés dans vos auteurs tragiques ; il s’en déve-