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CORINNE OU L’ITALIE

quoique notre poésie ait été consacrée à chanter l’amour, je hasarderai de dire que nous avons plus de profondeur et de sensibilité dans la peinture de toutes les autres passions que dans celle-là. À force de faire des vers amoureux, on s’est créé à cet égard parmi nous un langage convenu, et ce n’est pas ce qu’on a éprouvé, mais ce qu’on a lu qui sert d’inspiration aux poëtes. L’amour tel qu’il existe en Italie ne ressemble nullement à l’amour tel que nos écrivains le peignent. Je ne connais qu’un roman, Fiammetta du Bocace, dans lequel on puisse se faire une idée de cette passion décrite avec des couleurs vraiment nationales. Nos poëtes subtilisent et exagèrent le sentiment, tandis que le véritable caractère de la nature italienne c’est une impression rapide et profonde, qui s’exprimerait bien plutôt par des actions silencieuses et passionnées que par un ingénieux langage. En général notre littérature exprime peu notre caractère et nos mœurs. Nous sommes une nation beaucoup trop modeste, je dirais presque trop humble pour oser avoir des tragédies à nous, composées avec notre histoire, ou du moins caractérisées d’après nos propres sentimens[1].

Alfieri, par un hasard singulier, était pour ainsi dire transplanté de l’antiquité dans les

  1. Giovanni Pindemonte a publié nouvellement un théâtre dont les sujets sont pris dans l’histoire italienne, et c’est une entreprise très-intéressante et très-louable. Le nom des Pindemonte est aussi illustré par Hippolito Pindemonte, l’un des poëtes actuels de l’Italie qui a le plus de charme et de douceur