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CORINNE OU L’ITALIE

ne sont jamais ni si méchans ni si généreux qu’il les peint. La plupart des scènes sont composées pour mettre en contraste le vice et la vertu ; mais ces oppositions ne sont pas présentées avec les gradations de la vérité. Si les tyrans supportaient dans la vie ce que les opprimés leur disent en face dans les tragédies d’Alfieri, on serait presque tenté de les plaindre. La pièce d’Octavie est une de celles où ce défaut de vraisemblance est le plus frappant. Sénèque y moralise sans cesse Néron, comme s’il était le plus patient des hommes, et lui Sénèque le plus courageux de tous. Le maître du monde, dans la tragédie, consent à se laisser insulter et à se mettre en colère à chaque scène pour le plaisir des spectateurs, comme s’il ne dépendait pas de lui de tout finir avec un mot. Certainement ces dialogues continuels donnent lieu à de très-belles réponses de Sénèque, et l’on voudrait trouver dans une harangue ou dans un ouvrage les nobles pensées qu’il exprime ; mais est-ce ainsi qu’on peut donner l’idée de la tyrannie ? Ce n’est pas la peindre sous ses redoutables couleurs, c’est en faire seulement un but pour l’escrime de la parole. Mais si Shakespeare avait représenté Néron entouré d’hommes tremblans qui oseraient à peine répondre à la question la plus indifférente ; lui-même cachant son trouble, s’ef-