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CORINNE OU L’ITALIE

même qu’il tient ici le premier rang, excite beaucoup d’envie ; Pergolèse a été assassiné pour son Stabat ; Giorgione s’armait d’une cuirasse quand il était obligé de peindre dans un lieu public ; mais la jalousie violente qu’inspire le talent parmi nous est celle que fait naître ailleurs la puissance ; cette jalousie ne dégrade point son objet, cette jalousie peut haïr, proscrire, tuer ; et néanmoins toujours mêlée au fanatisme de l’admiration, elle excite encore le génie tout en le persécutant. Enfin, quand on voit tant de vie dans un cercle si resserré, au milieu de tant d’obstacles et d’asservissemens de tout genre, on ne peut s’empêcher, ce me semble, de prendre un vif intérêt à ce peuple qui respire avec avidité le peu d’air que l’imagination fait pénétrer à travers les bornes qui le renferment.

Ces bornes sont telles, je ne le nierai point, que les hommes maintenant acquièrent rarement en Italie cette dignité, cette fierté qui distingue les nations libres et militaires. J’avouerai même, si vous le voulez, Mylord, que le caractère de ces nations pourrait inspirer aux femmes plus d’enthousiasme et d’amour. Mais ne serait-il pas possible aussi qu’un homme intrépide, noble et sévère réunît toutes les qualités qui font aimer, sans posséder celles qui promettent le bonheur ? » Corinne.