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CORINNE OU L’ITALIE.

griffe de vautour sous laquelle le bonheur et l’indépendance succombent. Ne pouvant rester dans sa maison, où lord Nelvil ne venait pas, elle errait quelquefois dans les jardins de Rome, espérant le rencontrer. Elle supportait mieux les heures pendant lesquelles se promenant au hasard, elle avait une chance quelconque de l’apercevoir. L’imagination ardente de Corinne était la source de son talent ; mais, pour son malheur, cette imagination se mêlait à sa sensibilité naturelle, et la lui rendait souvent très-douloureuse.

Le soir du quatrième jour de cette cruelle absence il faisait un beau clair de lune, et Rome est bien belle pendant le silence de la nuit ; il semble alors qu’elle n’est habitée que par ses illustres ombres. Corinne, en revenant de chez une femme de ses amies, oppressée par la douleur, descendit de sa voiture et se reposa quelques instans près de la fontaine de Trevi, devant cette source abondante qui tombe en cascade au milieu de Rome, et semble comme la vie de ce tranquille séjour. Lorsque pendant quelques jours cette cascade s’arrête, on dirait que Rome est frappée de stupeur. C’est le bruit des voitures que l’on a besoin d’entendre dans les autres villes, à Rome c’est le murmure de cette fontaine immense qui semble comme l’accompa-