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CORINNE OU L’ITALIE.

parler à personne. — Moi-même, dit alors le comte d’Erfeuil, quand il est comme cela, je ne le vois pas. — Ce moi-même déplaisait assez à Corinne, mais elle se garda bien de le témoigner au seul homme qui put lui donner des nouvelles de lord Nelvil. Elle l’interrogea, se flattant qu’un homme aussi léger, du moins en apparence, lui dirait tout ce qu’il savait. Mais tout à coup, soit qu’il voulut cacher par un air de mystère qu’Oswald ne lui avait rien confié, soit qu’il crût plus honorable de refuser ce qu’on lui demandait que de l’accorder, il opposa un silence imperturbable à l’ardente curiosité de Corinne. Elle, qui avait toujours eu de l’ascendant sur tous ceux à qui elle avait parlé, ne pouvait comprendre pourquoi ses moyens de persuasion étaient sans effet sur le comte d’Erfeuil : ne savait-elle pas que l’amour-propre est ce qu’il y a au monde de plus inflexible ?

Quelle ressource restait-il donc à Corinne pour savoir ce qui se passait dans le cœur d’Oswald ! lui écrire ? Tant de mesure est nécessaire en écrivant ! et Corinne était surtout aimable par l’abandon et le naturel. Trois jours s’écoulèrent, pendant lesquels elle ne vit point lord Nelvil, et fut tourmentée par une agitation mortelle. — Qu’ai-je donc fait, se disait-elle, pour le détacher de moi ? je ne lui ai point dit que je l’aimais, je