pas perdre leurs anciennes habitudes ; du reste, tous les spectateurs étoient changés, le spectacle seul restoit le même : les décorations, la musique, la danse, n’avoient rien perdu de leur charme, et je me sentois humiliée de la grâce françoise prodiguée devant ces sabres et ces moustaches, comme s’il étoit du devoir des vaincus d’amuser encore les vainqueurs.
Au Théâtre-François, les tragédies de Racine et de Voltaire étoient représentées devant des étrangers, plus jaloux de notre gloire littéraire qu’empressés à la reconnaître. L’élévation des sentimens exprimés dans les tragédies de Corneille n’avoit plus de piédestal en France ; on ne savoit où se prendre pour ne pas rougir en les écoutant. Nos comédies, où l’art de la gaieté est porté si loin, divertissoient nos vainqueurs, lorsqu’il ne nous étoit plus possible d’en jouir, et nous avions presque honte des talens mêmes de nos poètes, quand ils semblaient, comme nous, enchaînés au char des conquérants. Aucun officier de l’armée françoise, on doit leur en savoir gré, ne paraissoit au spectacle pendant que les troupes alliées occupoient la capitale : ils se promenoient tristement, sans uniforme, ne pouvant plus supporter leurs décorations militaires, puisqu’ils n’avoient pu dé-