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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

sur ses remparts. Naguère la voûte des Invalides étoit tapissée des étendards conquis dans quarante batailles, et maintenant les bannières de la France ne pouvoient se montrer que sous les ordres de ses conquérants. Je n’ai pas affaibli, je crois, dans cet ouvrage, le tableau des fautes qui ont amené les François à cet état déplorable : mais, plus ils en souffraient, et plus ils étoient dignes d’estime.

La meilleure manière de juger des sentimens qui agitent les grandes masses, c’est de consulter ses propres impressions : on est sûr de deviner, d’après ce qu’on éprouve soi-même, ce que la multitude ressentira ; et c’est ainsi que les hommes d’une imagination forte peuvent prévoir les mouvemens populaires dont une nation est menacée.

Après dix ans d’exil, j’abordai à Calais, et je comptais sur un grand plaisir en revoyant ce beau pays de France que j’avais tant regretté : mes sensations furent tout autres que celles que j’attendais. Les premiers hommes que j’aperçus sur la rive portoient l’uniforme prussien ; ils étoient les maîtres de la ville, ils en avoient acquis le droit par la conquête : mais il me sembloit assister à l’établissement du règne féodal, tel que les anciens historiens le