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CONSIDÉRATIONS

ment maintenu auprès de l’empereur de France entre la faveur et la disgrâce ; mais, ayant trop d’esprit pour être considéré comme l’un de ces militaires formés à l’obéissance aveugle, il étoit toujours plus ou moins suspect à Napoléon, qui n’aimoit pas à trouver réunis dans le même homme un sabre et une opinion. Bernadotte, en racontant à Napoléon comment son élection venoit d’avoir lieu en Suède, le regardoit avec ces yeux noirs et perçans qui donnent à sa physionomie quelque chose de très-singulier. Bonaparte se promemoit à côté de lui, et lui faisoit des objections que Bernadotte réfutoit le plus tranquillement qu’il pouvait, tâchant de cacher la vivacité de son désir ; enfin, après un entretien d’une heure, Napoléon lui dit tout à coup : Hé bien, que la destinée s’accomplisse ! Bernadotte entendit très-vite ces paroles, mais il se les fit répéter comme s’il ne les eût pas comprises, pour mieux s’assurer de son bonheur. Que la destinée s’accomplisse ! redit encore une fois Napoléon ; et Bernadotte partit pour régner sur la Suède. On a pu quelquefois agir en conversation sur Bonaparte contre son intérêt même, il y en a des exemples ; mais c’est un des hasards de son caractère sur lequel on ne sauroit compter.

La campagne de Bonaparte contre les alliés,