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CONSIDÉRATIONS

sagesse ; mais est-ce sur un hasard qu’il faut fonder le sort des nations ? Je citerai à cette occasion un mot de l’empereur Alexandre, qui me paroît digne d’être consacré. J’eus l’honneur de le voir à Pétersbourg, dans le moment le plus remarquable de sa vie, lorsque les François s’avançoient sur Moscou, et qu’en refusant la paix que Napoléon lui offrit dès qu’il se crut vainqueur, Alexandre triomphoit de son ennemi plus habilement que ne l’ont fait depuis ses généraux. « Vous n’ignorez pas, me dit l’empereur de Russie, que les paysans russes sont esclaves. Je fais ce que je peux pour améliorer leur sort graduellement dans mes domaines ; mais je rencontre ailleurs des obstacles que le repos de l’empire m’ordonne de ménager. — Sire, lui répondis-je, je sais que la Russie est maintenant heureuse, quoiqu’elle n’ait d’autre constitution que le caractère personnel de Votre Majesté. — Quand le compliment que vous me faites auroit de la vérité, répondit l’empereur, je ne serais jamais qu’un accident heureux. » Je crois difficile que de plus belles paroles soient prononcées par un monarque dont la situation pourroit l’aveugler sur le sort des hommes. Non-seulement le pouvoir arbitraire livre les nations aux