Page:De Staël – La Révolution française, Tome III.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
322
CONSIDÉRATIONS

toujours à l’opinion nationale ; et cette opinion ne peut être corrompue dans le sens qu’on attache à ce mot, c’est-à-dire, payée. Mais ce qui est séduisant pour toute nation, c’est la gloire des armes : le plaisir que les jeunes gens trouvent dans la vie des camps ; les jouissances vives que les succès de la guerre leur procurent, sont beaucoup plus conformes aux goûts de leur âge que les bienfaits durables de la liberté. Il faut être un homme de mérite pour avancer dans la carrière civile ; mais tous les bras vigoureux peuvent manier un sabre, et la difficulté de se distinguer dans l’état militaire n’est point en proportion avec la peine qu’il faut se donner pour s’instruire et pour penser. Les emplois qui se multiplient dans cette carrière donnent au gouvernement des moyens de tenir dans sa dépendance un très-grand nombre de familles. Les décorations nouvellement imaginées offrent à la vanité des récompenses qui ne dérivent pas de la source de toute gloire, l’opinion publique ; enfin, c’est saper l’édifice de la liberté par les fondemens, que d’entretenir une armée de ligne considérable.

Dans un pays où la loi règne, et où la bravoure, fondée sur l’amour de la patrie, est au-dessus de toute louange, dans un pays où les