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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

à distance ? Mais cette ignorance des affaires de l’Europe qui avoit entraîné les Américains à déclarer mal à propos la guerre à l’Angleterre, pouvoit-elle motiver l’incendie de Washington ? Il ne s’agissoit pas là de détruire des établissemens guerriers, mais des édifices pacifiques consacrés à la représentation nationale, à l’instruction publique, à la transplantation des arts et des sciences dans un pays naguère couvert de forêts, et conquis seulement par les travaux des hommes sur une nature sauvage. Qu’y a-t-il de plus honorable pour l’espèce humaine, que ce nouveau monde qui s’établit sans les préjugés de l’ancien ; ce nouveau monde où la religion est dans toute sa ferveur, sans qu’elle ait besoin de l’appui de l’état pour se maintenir ; où la loi commande par le respect qu’elle inspire, bien qu’aucune force militaire ne la soutienne ? Il se peut, hélas ! que l’Europe soit un jour destinée à présenter, comme l’Asie, le spectacle d’une civilisation stationnaire, qui, n’ayant pu se perfectionner, s’est dégradée. Mais s’ensuit-il que la vieille et libre Angleterre doive se refuser à l’admiration qu’inspirent les progrès de l’Amérique, parce que d’anciens ressentimens et quelques traits de ressemblance établissent entre les deux pays des haines de famille ?