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CONSIDÉRATIONS

quée, et ses opinions triomphèrent. Les partisans de Guillaume III, et la reine Anne elle-même, consultoient souvent lady Russel sur les affaires publiques, comme ayant conservé quelques étincelles des lumières de lord Russel ; c’est à ce titre aussi qu’elle répondait, et qu’à travers le profond deuil de son âme, elle s’intéressoit à la noble cause pour laquelle le sang de son époux avoit été répandu. Toujours elle fut la veuve de lord Russel, et c’est par l’unité de ce sentiment qu’elle mérite d’être admirée. Telle seroit encore une femme vraiment angloise, si une scène aussi tragique, une épreuve aussi terrible pouvoit se présenter de nos jours, et si, grâce à la liberté, de semblables malheurs n’étoient pas écartés à jamais. La durée des regrets causés par la perte de ceux qu’on aime, absorbe souvent en Angleterre la vie des personnes qui les ont éprouvés : si les femmes n’ont pas une existence personnelle active, elles vivent avec d’autant plus de force dans les objets de leur attachement. Les morts ne sont point oubliés dans cette contrée, où l’âme humaine a toute sa beauté ; et l’honorable constance qui lutte contre l’instabilité de ce monde, élève les sentimens du cœur au rang des choses éternelles.