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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

roit son mari, soutint néanmoins la présence de ses juges iniques et le barbare sophisme de leurs interrogations avec toute la présence d’esprit que lui commandoit l’espoir d’être utile : ce fut en vain. La sentence de mort étant prononcée, lady Russel alla se jeter aux pieds de Charles II, en l’implorant au nom de lord Southampton, dont elle étoit la fille, et qui s’étoit dévoué pour la cause de Charles V. Mais le souvenir des services rendus au père ne put rien sur le fils ; car sa frivolité ne l’empêchoit pas d’être cruel. Lord Russel, en se séparant de sa femme pour marcher à l’échafaud, prononça ces paroles remarquables : « A présent, la douleur de la mort est passée. » En effet, il y a telle affection dont on peut se composer toute l’existence.

On a publié des lettres de lady Russel, écrites après la mort de son époux, dans lesquelles on trouve l’empreinte de la plus profonde douleur, contenue par la résignation religieuse. Elle vécut pour élever ses enfans ; elle vécut, parce qu’elle ne se seroit pas permis de se donner la mort. À force de pleurer, elle devint aveugle, et toujours le souvenir de celui qu’elle avoit tant aimé fut vivant dans son cœur. Elle eut un moment de joie, quand la liberté s’établit en 1668 ; la sentence portée contre lord Russel fut révo-