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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

est une des principales causes de la froideur qui règne dans la société angloise : on n’est jamais accusé d’insipidité en se taisant ; et, comme personne n’exige de vous d’animer l’entretien, on est plus frappé des hasards auxquels on s’exposeroit en parlant, que de l’inconvénient du silence. Dans le pays où l’on est le plus attaché à la liberté de la presse, et où l’on s’embarrasse le moins des attaques des journaux, les plaisanteries de société sont très-redoutées. On considère les gazettes comme les volontaires des partis politiques, et dans ce genre, comme dans tous les autres, les Anglois se plaisent beaucoup à la guerre ; mais la médisance et l’ironie dont la société est le théâtre effarouchent singulièrement la délicatesse des femmes et la fierté des hommes. C’est pourquoi l’on se met en avant le moins qu’on peut en présence des autres. Le mouvement et la grâce y perdent nécessairement beaucoup. Dans aucun pays du monde, la réserve et la taciturnité n’ont, je crois, jamais été portées aussi loin que dans quelques sociétés de l’Angleterre ; et, si l’on tombe dans ces cercles, on s’explique très-bien comment le dégoût de la vie peut saisir ceux qui s’y trouvent enchaînés. Mais hors de ces enceintes glacées, quelle satisfaction de l’âme et de