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CONSIDÉRATIONS

verroit encore dix batailles de Waterloo, il ne viendroit pas dans la tête de ceux qui donnent si facilement leur vie pour leur pays, de tourner leurs forces contre lui ; ou tout au moins ils rencontreroient un invincible obstacle chez des hommes aussi braves qu’eux et plus éclairés, qui détestent l’esprit militaire, quoiqu’ils sachent admirer et pratiquer les vertus guerrières.

Cette sorte de préjugé qui persuadoit à la noblesse de France qu’elle ne pouvoit servir son pays que dans la carrière des armes, n’existe nullement en Angleterre. Un grand nombre de fils de pairs sont avocats ; le barreau participe au respect qu’on a pour la loi, et dans toutes les carrières, les occupations civiles sont considérées. Dans un tel pays, on n’a pas dû craindre jusqu’à ce jour l’invasion de la puissance militaire : il n’y a que les peuples ignorans qui aient une aveugle admiration pour le sabre. C’est une superbe chose que la bravoure, quand on expose une vie chère à sa famille, une tête remplie de vertus et de lumières, et qu’un citoyen se fait soldat pour maintenir ses droits de citoyen. Mais, quand des hommes se battent seulement parce qu’ils ne veulent se donner la peine d’occuper leur esprit et leur temps