Page:De Staël – La Révolution française, Tome III.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
236
CONSIDÉRATIONS

mais la nation angloise semble, pour ainsi dire, un corps entier de gentilshommes. Vous voyez dans chaque citoyen anglois ce qu’il peut être un jour, puisque aucun rang n’est inaccessible au talent, et que ces rangs ont toujours conservé leur éclat antique. Il est vrai que ce qui rend noble, avant tout, aux regards d’une âme élevée, c’est d’être libre. Un noble ou un gentilhomme anglois (et ce mot de gentilhomme signifie un propriétaire indépendant) exerce dans sa province un emploi utile, auquel il n’est jamais attaché d’appointemens : juge de paix, shériff ou gouverneur de la contrée qui environne ses possessions, il influe sur les élections d’une manière convenable et qui ajoute à son crédit sur l’esprit du peuple ; il remplit, comme pair ou comme député, une fonction politique, et son importance est réelle. Ce n’est pas l’oisive aristocratie d’un noble françois, qui n’étoit plus rien dans l’état dès que le roi lui refusoit sa faveur ; c’est une distinction fondée sur tous les intérêts de la nation ; et l’on ne peut s’empêcher d’être étonné que les gentilshommes françois préférassent leur existence de courtisans sur la route de Versailles à Paris, à cette stabilité majestueuse d’un pair anglois dans sa terre, entouré d’hommes aux-