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CONSIDÉRATIONS

l’on entendit un coup de pistolet dirigé contre sa loge ; et, comme il recula de quelques pas, on douta un instant si le meurtre étoit accompli ; mais, quand le courageux monarque s’avança pour rassurer la foule des spectateurs, dont l’inquiétude étoit au comble, rien ne peut exprimer le transport qui s’empara d’eux. Les musiciens, par un mouvement spontané, jouèrent l’air consacré, Dieu sauve le roi, et cette prière produisit, au milieu de l’anxiété publique, une émotion dont le souvenir vit encore au fond des cœurs. À la suite de cette scène, une multitude étrangère aux vertus de la liberté auroit demandé à grands cris le supplice de l’assassin, et l’on auroit vu les courtisans se montrer peuple dans leur fureur, comme si l’excès de leur amour ne les eût plus laissés maîtres d’eux-mêmes ; rien de semblable ne pouvoit avoir lieu dans un pays libre. Le roi magistrat étoit le protecteur de son assassin par le sentiment de la justice, et nul Anglois n’avoit l’idée qu’on pût plaire à son souverain aux dépens de l’immuable loi qui représente la volonté de Dieu sur la terre.

Non-seulement le cours de la justice ne fut pas hâté d’une heure, mais l’on va voir, par l’exorde du plaidoyer de M. Erskine, aujourd’hui lord Erskine, quelles sont les précautions qu’on