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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

parce qu’il les a déracinés de la tête des peuples ; il a partout relevé le despotisme, en lui donnant pour appui la haine des nations contre les François ; il a défait l’esprit humain, en imposant, pendant quinze ans, à ses folliculaires, l’obligation d’écrire et de développer tous les systèmes qui pouvoient égarer la raison et étouffer les lumières. Il faut des gens de mérite en tout genre pour établir la liberté ; Bonaparte n’a voulu d’hommes supérieurs que parmi les militaires, et jamais sous son règne une réputation civile n’a pu se fonder.

Au commencement de la révolution, une foule de noms illustres honoroient la France ; et c’est un des principaux caractères d’un siècle éclairé que d’avoir beaucoup d’hommes remarquables, mais difficilement un homme au-dessus de tous les autres. Bonaparte a subjugué le siècle à cet égard, non qu’il lui fût supérieur en lumières, mais au contraire parce qu’il avoit quelque chose de barbare à la façon du moyen âge ; il apportoit de la Corse un autre siècle, d’autres moyens, un autre caractère que tout ce que nous avions en France ; cette nouveauté même a favorisé son ascendant sur les esprits ; Bonaparte est seul là où il règne, et