Page:De Staël – La Révolution française, Tome III.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
151
SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

d’elle. Mais il est une fermeté d’âme que la conscience peut seule donner ; et Bonaparte, au lieu de cette volonté indépendante des événemens, avoit une sorte de foi superstitieuse à la fortune, qui ne lui permettoit pas de marcher sans elle. Du jour où il a senti que c’étoit bien le malheur qui s’emparoit de lui, il n’a pas lutté ; du jour où sa destinée a été renversée, il ne s’est plus occupé de celle de la France. Bonaparte s’étoit intrépidement exposé à la mort dans la bataille, mais il n’a point voulu se la donner à lui-même, et cette résolution n’est pas sans quelque dignité. Cet homme a vécu pour donner au monde la leçon de morale la plus frappante, la plus sublime dont les peuples aient jamais été témoins. Il semble que la Providence ait voulu, comme un sévère poète tragique, faire ressortir la punition d’un grand coupable des forfaits mêmes de sa vie.

Bonaparte qui, pendant dix ans, avoit soulevé le monde contre le pays le plus libre et le plus religieux que l’ordre social européen ait encore formé, contre l’Angleterre, se remet entre ses mains ; lui qui, pendant dix ans, l’avoit chaque jour outragée, en appelle à sa générosité ; enfin, lui qui ne parloit des lois qu’avec