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CONSIDÉRATIONS

pendant quinze ans le plus habile dans l’art d’être le maître, un homme aussi violent que dissimulé ? On parloit de sa conversion, et l’on trouvoit des crédules à ce miracle ; certes, il falloit moins de foi pour ceux de Mahomet. Les amis de la liberté n’ont pu voir dans Bonaparte que la contre-révolution du despotisme, et le retour d’un ancien régime plus récent, mais par cela même plus redoutable ; car la nation étoit encore toute façonnée à la tyrannie, et ni les principes, ni les vertus publiques n’avoient eu le temps de reprendre racine. Les intérêts personnels seuls, et non les opinions, ont conspiré pour le retour de Bonaparte, et des intérêts forcenés qui s’aveugloient sur leurs propres périls, et ne comptoient pour rien le sort de la France.

Les ministres étrangers ont appelé l’armée françoise une armée parjure, et ce mot ne peut se supporter. L’armée qui abandonna Jacques II pour Guillaume III étoit donc parjure aussi, et de plus, on se rallioit en Angleterre au gendre et à la fille pour détrôner le père, circonstance plus cruelle encore. Eh bien, dira-t-on, soit : les deux armées ont trahi leur devoir. Je n’accorde pas même la comparaison : les soldats françois, pour la plupart au-dessous de qua-