Page:De Staël – La Révolution française, Tome III.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
CONSIDÉRATIONS

place ; maintenant, ceux qui sont hors du gouvernement agissent plus sur l’opinion que le gouvernement lui-même, et par conséquent prévoient mieux l’avenir.

Une crainte continuelle s’étoit emparée de mon âme, plusieurs semaines avant le débarquement de Bonaparte. Le soir, quand les beaux édifices de la ville étoient éclairés par les rayons de la lune, il me sembloit que je voyois mon bonheur et celui de la France comme un ami malade, dont le sourire est d’autant plus aimable qu’il va nous quitter bientôt. Lors donc qu’on me dit que ce terrible homme étoit à Cannes, je reculai devant cette certitude comme devant un poignard ; mais, quand il ne fut plus possible d’y échapper, je ne fus que trop assurée qu’il seroit à Paris dans quinze jours. Les royalistes se moquoient de cette terreur ; il falloit leur entendre dire que cet événement étoit le plus heureux du monde, parce qu’on alloit être débarrassé de Bonaparte, parce que les deux chambres alloient sentir la nécessité de donner au roi un pouvoir absolu, comme si cela se donnoit ! Le despotisme, aussi bien que la liberté, se prend et ne s’accorde pas. Je ne suis pas sûre que, parmi les ennemis de toute constitution, il ne s’en soit