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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

trop justifié, ce me semble, cette triste prédiction.

L’on ne pouvoit se défendre d’une inexprimable irritation, avant le retour et pendant le voyage de Bonaparte. Depuis un mois, tous ceux qui ont quelque connaissance des révolutions sentoient l’air chargé d’orages ; on ne cessoit d’en avertir les alentours du gouvernement ; mais plusieurs d’entre eux regardoient les amis inquiets de la liberté comme des relaps qui croyoient encore à l’influence du peuple, à la force des révolutions. Les plus modérés parmi les aristocrates pensoient que les affaires publiques ne devoient regarder que les gouvernans, et qu’il étoit indiscret de s’en occuper. On ne pouvoit leur faire comprendre que, pour savoir ce qui se passe dans un pays où l’esprit de la liberté fermente, il ne faut négliger aucun avis, n’être indifférent à aucune circonstance, et se multiplier par l’activité, au lieu de se renfermer dans un silence mystérieux. Les partisans de Bonaparte étoient mille fois mieux instruits sur toutes choses que les serviteurs du roi ; car les bonapartistes, aussi bien que leur maître, savoient de quelle importance peut être chaque individu dans les temps de trouble. Autrefois tout consistoit dans les hommes en