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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

ses dons que par ses injustices, ce désordre étoit tel, qu’à son abdication un nombre incalculable de personnes, sans aucune ressource indépendante, se présentoient pour toutes les places, à la marine, ou dans la magistrature, au civil ou dans le militaire, n’importe. La dignité du caractère, la conséquence dans les opinions, l’inflexibilité dans les principes, toutes les qualités d’un citoyen, d’un chevalier, d’un ami de la liberté, n’existent plus dans les actifs candidats formés par Bonaparte. Ils sont intelligens, hardis, décidés, habiles chiens de chasse, ardens oiseaux de proie ; mais cette intime conscience, qui rend incapable de tromper, d’être ingrat, de se montrer servile envers le pouvoir et dur pour le malheur ; toutes ces vertus, qui sont dans le sang aussi bien que dans la volonté raisonnée, étoient traitées de chimères, ou d’exaltation romanesque, par les jeunes gens mêmes de cette école. Hélas ! les malheurs de la France lui rendront de l’enthousiasme ; mais, à l’époque de la restauration, il n’y avoit presque point de vœux décidément formés pour rien ; et la nation se réveilloit à peine du despotisme qui avoit fait marcher les hommes mécaniquement, sans que la vivacité même de leurs actions pût exercer leur volonté.