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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

Dans ce moment Manuel arriva : il fut très-étonné de me voir dans une si triste position ; et, répondant aussitôt de moi jusqu’à ce que la commune eût décidé de mon sort, il me fit quitter cette terrible place, et m’enferma avec ma femme de chambre dans son cabinet.

Nous restâmes là six heures à l’attendre, mourant de faim, de soif et de peur. La fenêtre de l’appartement de Manuel donnoit sur la place de Grève, et nous voyions les assassins revenir des prisons avec les bras nus et sanglans, et poussant des cris horribles.

Ma voiture chargée étoit restée au milieu de la place, et le peuple se préparoit à la piller, lorsque j’aperçus un grand homme en habit de garde national, qui monta sur le siège, et défendit à la populace de rien dérober. Il passa deux heures à défendre mes bagages, et je ne pouvois concevoir comment un si mince intérêt l’occupoit, au milieu de circonstances si effroyables. Le soir cet homme entra dans la chambre où l’on me tenoit renfermée, accompagnant Manuel. C’étoit le brasseur Santerre, si cruellement connu depuis ; il avoit été plusieurs fois témoin et distributeur, dans le faubourg Saint-Antoine, où il demeuroit, des approvisionnemens de blé envoyés par mon père