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CONSIDÉRATIONS

lant emmener avec moi des proscrits, et qu’on alloit examiner mes gens. Il trouva qu’il en manquoit un désigné sur mon passe-port (c’étoit celui que j’avois renvoyé) ; et, en conséquence de cette erreur, il exigea que je fusse conduite par un gendarme à l’Hôtel de ville. Rien n’étoit plus effrayant qu’un tel ordre ; il falloit traverser la moitié de Paris, et descendre sur la place de Grève, en face de l’Hôtel de ville : or, c’étoit sur les degrés mêmes de l’escalier de cet hôtel que plusieurs personnes avoient été massacrées, le 10 août ; aucune femme n’avoit encore péri, mais le lendemain la princesse de Lamballe fut assassinée par le peuple, dont la fureur étoit déjà telle que tous les yeux sembloient demander du sang.

Je fus trois heures à me rendre du faubourg Saint-Germain à l’Hôtel de ville : on me conduisit au pas, à travers une foule immense qui m’assailloit par des cris de mort ; ce n’étoit pas moi qu’on injurioit, à peine alors me connaissoit-on ; mais une grande voiture et des habits galonnés représentoient aux yeux du peuple ceux qu’il devoit massacrer. Ne sachant pas encore combien dans les révolutions l’homme devient inhumain, je m’adressai deux ou trois fois aux gendarmes, qui