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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

livrée. Il me sembloit qu’en me voyant dans cet apparat, on me croiroit le droit de partir, et qu’on me laisseroit passer. C’étoit très-mal combiné ; car, ce qu’il faut avant tout dans de tels momens, c’est de ne pas frapper l’imagination du peuple, et la plus mauvaise chaise de poste m’auroit conduite plus sûrement. À peine ma voiture avoit-elle fait quatre pas, qu’au bruit des fouets des postillons un essaim de vieilles femmes, sorties de l’enfer, se jettent sur mes chevaux, et crient qu’on doit m’arrêter, que j’emporte avec moi l’or de la nation, que je vais rejoindre les ennemis, que sais-je ? mille autres injures plus absurdes encore. Ces femmes attirent la foule à l’instant, et des gens du peuple, avec des physionomies féroces, se saisissent de mes postillons, et leur ordonnent de me mener à l’assemblée de la section du quartier où je demeurois (le faubourg Saint-Germain). En descendant de voiture, j’eus le temps de dire tout bas au domestique de l’abbé de Montesquiou de s’en aller, et d’avertir son maître.

J’entrai dans cette assemblée, dont les délibérations avoient l’air d’une insurrection en permanence. Celui qui se disoit le président me déclara que j’étois dénoncée comme vou-