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CONSIDÉRATIONS

offerte à Châtillon, au mois de mars 1814, c’est la première fois que l’idée d’un devoir auroit agi sur lui ; et sa persévérance, en cette occasion, quelque imprudente qu’elle fût, méritoit de l’estime. Mais il paroît plutôt qu’il a trop compté sur son talent, après quelques succès en Champagne, et qu’il s’est caché à lui-même les difficultés qu’il avoit à surmonter, comme auroit pu le faire un de ses flatteurs. On étoit tellement accoutumé à le craindre, qu’on n’osoit pas lui dire les faits qui l’intéressoient le plus. Assuroit-il qu’il y avoit vingt mille François dans tel endroit, personne ne se sentoit le courage de lui apprendre qu’il n’y en avoit que dix mille : prétendoit-il que les alliés n’étoient qu’en tel nombre, nul ne se hasardoit à lui prouver que ce nombre étoit double. Son despotisme étoit tel, qu’il avoit réduit les hommes à n’être que les échos de lui-même, et que sa propre voix lui revenant de toutes parts, il étoit ainsi seul au milieu de la foule qui l’environnoit.

Enfin, il n’a pas vu que l’enthousiasme avoit passé de la rive gauche du Rhin à la rive droite ; qu’il ne s’agissoit plus de gouvernemens indécis, mais de peuples irrités ; et que, de son côté, au contraire, il n’y avoit qu’une armée et plus de nation ; car, dans ce