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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

lut bien m’envoyer à Vienne un passe-port. En entrant dans son empire, reconnu pour absolu, je me sentis libre pour la première fois, depuis le règne de Bonaparte, non pas seulement à cause des vertus personnelles de l’empereur Alexandre, mais parce que la Russie étoit le seul pays où Napoléon ne fît point sentir son influence. Il n’est aucun ancien gouvernement que l’on pût comparer à cette tyrannie entée sur une révolution, à cette tyrannie qui s’étoit servie du développement même des lumières, pour mieux enchaîner tous les genres de libertés.

Je me propose d’écrire un jour ce que j’ai vu de la Russie. Toutefois je dirai, sans me détourner de mon sujet, que c’est un pays mal connu, parce qu’on n’a presque observé de cette nation qu’un petit nombre d’hommes de cour, dont les défauts sont d’autant plus grands que le pouvoir du souverain est moins limité. Ils ne brillent pour la plupart que par l’intrépide bravoure commune à toutes les classes ; mais les paysans russes, cette nombreuse partie de la nation qui ne connoît que la terre qu’elle cultive, et le ciel qu’elle regarde, a quelque chose en elle de vraiment admirable. La douceur de ces hommes, leur hospitalité, leur