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CONSIDÉRATIONS

environné de tous les souverains de l’Allemagne, et commandant une armée de cinq cent mille hommes, composée de presque toutes les nations européennes, il paroissoit impossible, d’après les calculs humains, que son expédition ne fût pas heureuse. En effet, dans sa chute, la Providence s’est montrée de plus près à la terre que dans tout autre événement, et les élémens ont été chargés de frapper les premiers le maître des hommes. On peut à peine se figurer aujourd’hui que, si Bonaparte avoit réussi dans son entreprise contre la Russie, il n’y avoit pas un coin de terre continentale où l’on pût lui échapper. Tous les ports étant fermés, le continent étoit, comme la tour d’Ugolin, muré de toutes parts.

Menacée de la prison par un préfet très-docile au pouvoir, si je montrois la moindre intention de m’éloigner un jour de ma demeure, je m’échappai, lorsque Bonaparte étoit près d’entrer en Russie, craignant de ne plus trouver d’issue en Europe, si j’eusse différé plus longtemps. Je n’avois déjà plus que deux chemins pour aller en Angleterre : Constantinople ou Pétersbourg. La guerre entre la Russie et la Turquie rendoit la route par ce dernier pays presque impraticable ; je ne savois ce que je deviendrois, quand l’empereur Alexandre vou-