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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

paraissoit, on demandoit en vain aux ministres de présenter un rapport à l’empereur contre une mesure injuste. S’agissoit-il même de la victime d’une erreur, de quelque individu pris par hasard sous le grand filet tendu sur l’espèce humaine, les agens du pouvoir vous objectoient la difficulté de s’adresser à Napoléon, comme s’il eût été question du grand Lama. Une telle stupeur causée par la puissance auroit fait rire, si l’état où se trouvoient les hommes, sans appui sous ce despotisme, n’eût pas inspiré la plus profonde pitié.

Les complimens, les hymnes, les adorations sans nombre et sans mesure dont ses gazettes étoient remplies, devoient fatiguer un homme d’un esprit aussi transcendant ; mais le despotisme de son caractère étoit plus fort que sa propre raison. Il aimoit moins les louanges vraies que les flatteries serviles, parce que, dans les unes, on n’auroit vu que son mérite, tandis que les autres attestoient son autorité. En général, il a préféré la puissance à la gloire ; car l’action de la force lui plaisoit trop pour qu’il s’occupât de la postérité, sur laquelle on ne peut l’exercer. Mais un des résultats du pouvoir absolu qui a le plus contribué à précipiter Bonaparte de son trône, c’est que, par degrés, l’on