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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

CHAPITRE XIX.

Enivrement du pouvoir ; revers et abdication de
Bonaparte
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Cette vieille Europe m’ennuie, disoit Napoléon, avant de partir pour la Russie. En effet, il ne rencontroit plus d’obstacle à ses volontés nulle part, et l’inquiétude de son caractère avoit besoin d’un aliment nouveau. Peut-être aussi la force et la clarté de son jugement s’altérèrent-elles, quand les hommes et les choses plièrent tellement devant lui, qu’il n’eut plus besoin d’exercer sa pensée sur aucune des difficultés de la vie. Il y a dans le pouvoir sans bornes une sorte de vertige qui saisit le génie comme la sottise, et les perd également l’un et l’autre.

L’étiquette orientale que Bonaparte avoit établie dans sa cour, interceptoit les lumières que l’on peut recueillir par les communications faciles de la société. Quand il y avoit quatre cents personnes dans son salon, un aveugle auroit pu s’y croire seul, tant le silence qu’on observoit étoit profond ! Les maréchaux de France, au milieu des fatigues de la guerre, au moment de la crise d’une bataille, entroient dans la