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CONSIDÉRATIONS

de suite à un établissement public les revenus dont on avoit voulu l’accabler. Il adopta mon avis ; et, dès le jour suivant, en se promenant avec l’empereur, il lui dit que telle étoit son intention. Bonaparte lui saisit le bras, et s’écria : C’est une idée de madame de Staël que vous me dites là ; je le parie. Mais ne donnez pas, croyez-moi, dans cette philanthropie romanesque du dix-huitième siècle : il n’y a qu’une seule chose à faire dans ce monde, c’est d’acquérir toujours plus d’argent et de pouvoir ; tout le reste est chimère. Beaucoup de gens diront qu’il avoit raison ; je crois, au contraire, que l’histoire montrera qu’en établissant cette doctrine, en déliant les hommes de l’honneur, partout ailleurs que sur le champ de bataille, il a préparé ses partisans à l’abandonner, conformément à ses propres préceptes, quand il cesseroit d’être le plus fort. Aussi peut-il se vanter d’avoir eu plus de disciples fidèles à son système, que de serviteurs dévoués à son infortune. Il consacroit sa politique par le fatalisme, seule religion qui puisse s’accorder avec le dévouement à la fortune ; et, sa prospérité croissant toujours, il a fini par se faire le grand prêtre et l’idole de son propre culte, croyant en lui, comme si ses