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CONSIDÉRATIONS

dans les sciences et dans l’érudition, parce que ces deux carrières ne touchent en aucune façon à la politique ; tandis que la littérature ne peut rien produire de grand maintenant sans la liberté. On objecte toujours les chefs-d’œuvre du siècle de Louis XIV ; mais l’esclavage de la presse étoit beaucoup moins sévère sous ce souverain que sous Bonaparte. Vers la fin du règne de Louis XIV, Fénélon et d’autres penseurs traitoient déjà les questions essentielles aux intérêts de la société. Le génie poétique s’épuise dans chaque pays tour à tour, et ce n’est qu’après de certains intervalles qu’il peut renaître ; mais l’art d’écrire en prose, inséparable de la pensée, embrasse nécessairement toute la sphère philosophique des idées ; et, quand on condamne des hommes de lettres à tourner dans le cercle des madrigaux et des idylles, on leur donne aisément le vertige de la flatterie : ils ne peuvent rien produire qui dépasse les faubourgs de la capitale et les bornes du temps présent.

La tâche imposée aux écrivains sous Bonaparte étoit singulièrement difficile. Il falloit qu’ils combattissent avec acharnement les principes libéraux de la révolution, mais qu’ils en respectassent tous les intérêts, de façon que la