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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

vent le besoin de s’en servir, tous ceux qui avoient quelque talent ont été bien vite dans la capitale pour tacher d’obtenir des places. De là vient cette fureur d’être employé par l’état, et pensionné par lui, qui avilit et dévore la France. Si l’on avoit quelque chose à faire chez soi ; si l’on pouvoit se mêler de l’administration de sa ville et de son département ; si l’on avoit occasion de s’y rendre utile, d’y mériter de la considération, et de s’assurer par là l’espoir d’être un jour élu député, l’on ne verroit pas aborder à Paris quiconque peut se flatter de l’emporter sur ses concurrens par une intrigue ou par une flatterie de plus.

Aucun emploi n’étoit laissé au choix libre des citoyens. Bonaparte se complaisoit à rendre lui-même des décrets sur des nominations d’huissiers, datés des premières capitales de l’Europe. Il vouloit se montrer comme présent partout, comme suffisant à tout, comme le seul être gouvernant dans le monde. Toutefois un homme ne sauroit parvenir à se multiplier à cet excès que par le charlatanisme ; car la réalité du pouvoir tombe toujours entre les mains des agens subalternes, qui exercent le despotisme en détail. Dans un pays où il n’y a ni corps intermédiaire indépendant, ni liberté