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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

son armée. Nous traiterons ce sujet aussi impartialement qu’il nous sera possible, quand nous serons arrivés au funeste retour de l’île d’Elbe. Que Bonaparte fût un homme d’un génie transcendant à beaucoup d’égards, qui pourroit le nier ? Il voyoit aussi loin que la connaissance du mal peut s’étendre ; mais il y a quelque chose par delà, c’est la région du bien. Les talens militaires ne sont pas toujours la preuve d’un esprit supérieur ; beaucoup de hasards peuvent servir dans cette carrière ; d’ailleurs, le genre de coup d’œil qu’il faut pour conduire les hommes sur le champ de bataille ne ressemble point à l’intime vue qu’exige l’art de gouverner. L’un des plus grands malheurs de l’espèce humaine, c’est l’impression que les succès de la force produisent sur les esprits ; et néanmoins il n’y aura ni liberté, ni morale dans le monde, si l’on n’arrive pas à ne considérer une bataille que d’après la bonté de la cause et l’utilité du résultat, comme tout autre fait de ce monde.

L’un des plus grands maux que Bonaparte ait faits à la France, c’est d’avoir donné le goût du luxe à ces guerriers qui se contentoient si bien de la gloire dans les jours où la nation étoit