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CONSIDÉRATIONS

sur eux ? Ils n’avoient de commun entre eux qu’un même chef, et c’est pour cela que rien n’étoit moins solide que leur association ; car l’enthousiasme pour un homme, quel qu’il soit, est nécessairement variable ; l’amour seul de la patrie et de la liberté ne peut changer, parce qu’il est désintéressé dans son principe. Ce qui faisoit le prestige de Napoléon, c’étoit l’idée qu’on avoit de sa fortune ; l’attachement à lui n’étoit que l’attachement à soi. L’on croyoit aux avantages de tout genre qu’on obtiendroit sous ses drapeaux ; et comme il jugeoit à merveille le mérite militaire, et savoit le récompenser, le plus simple soldat de l’armée pouvoit nourrir l’espoir de devenir maréchal de France. Les titres, la naissance, les services de courtisan, influoient peu sur l’avancement dans l’armée. Il existoit là, malgré le despotisme du gouvernement, un esprit d’égalité, parce que là Bonaparte avoit besoin de force, et qu’il n’en peut exister sans un certain degré d’indépendance. Aussi, sous le règne de l’empereur, ce qui valoit encore le mieux, c’étoit certainement l’armée. Les commissaires qui frappoient les pays conquis de contributions, d’emprisonnemens, d’exils ; ces nuées d’agens civils qui venaient, comme les vautours, fondre sur le