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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

cruelles, et se ranimoient encore dans les angoisses de la souffrance, soit par un sentiment d’enthousiasme pour leur patrie, soit par un bon mot qui faisoit revivre cette gaieté spirituelle à laquelle les dernières classes mêmes de la société sont toujours sensibles en France.

La révolution avoit perfectionné singulièrement l’art funeste du recrutement ; mais le bien qu’elle avoit fait, en rendant tous les grades accessibles au mérite, excita dans l’armée françoise une émulation sans bornes. C’est à ces principes de liberté que Bonaparte a dû les ressources dont il s’est servi contre la liberté même. Bientôt l’armée, sous Napoléon, ne conserva guère de ses vertus populaires que son admirable valeur et un noble sentiment d’orgueil national ; combien elle étoit déchue toutefois, quand elle se battoit pour un homme, tandis que ses devanciers, tandis que ses vétérans même, dix ans plus tôt, ne s’étoient dévoués qu’à la patrie ! Bientôt aussi les troupes de presque toutes les nations continentales furent forcées à combattre sous les étendards de la France. Quel sentiment patriotique pouvoit animer les Allemands, les Hollandais, les Italiens, quand rien ne leur garantissoit l’indépendance de leur pays, ou plutôt quand son asservissement pesoit