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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

pour laisser quelques traces de leurs institutions après eux. La destinée, prodigue envers Bonaparte, lui remit une nation de quarante millions d’hommes alors, une nation assez aimable pour influer sur l’esprit et les goûts européens. Un chef habile, à l’ouverture de ce siècle, auroit pu rendre la France heureuse et libre sans aucun effort, seulement avec quelques vertus. Napoléon est plus coupable encore pour le bien qu’il n’a pas fait, que pour les maux dont on l’accuse.

Enfin, si sa dévorante activité se trouvoit à l’étroit dans la plus belle des monarchies, si c’étoit un trop misérable sort pour un Corse, sous-lieutenant en 1790, de n’être qu’empereur de France, il falloit au moins qu’il soulevât l’Europe au nom de quelques avantages pour elle. Le rétablissement de la Pologne, l’indépendance de l’Italie, l’affranchissement de la Grèce, avoient de la grandeur : les peuples pouvoient s’intéresser à la renaissance des peuples. Mais falloit-il inonder la terre de sang pour que le prince Jérôme prit la place de l’électeur de Hesse, et pour que les Allemands fussent gouvernés par des administrateurs françois, qui prenoient chez eux des fiefs dont ils savoient à peine prononcer les titres,