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CONSIDÉRATIONS

qu’ils avoient illustrés par tant d’exploits, il frauda, pour ainsi dire, les droits de la renommée, et resta seul, comme il le voulait, en possession de la gloire militaire de la France.

Ce n’étoit pas assez d’avoir avili le parti républicain, en le dénaturant tout entier ; Bonaparte voulut encore ôter aux royalistes la dignité qu’ils devoient à leur persévérance et à leur malheur. Il fit occuper la plupart des charges de sa maison par des nobles de l’ancien régime ; il flattoit ainsi la nouvelle race, en la mêlant avec la vieille, et lui-même aussi, réunissant les vanités d’un parvenu aux facultés gigantesques d’un conquérant, il aimoit les flatteries des courtisans d’autrefois, parce qu’ils s’entendoient mieux à cet art que les hommes nouveaux, même les plus empressés. Chaque fois qu’un gentilhomme de l’ancienne cour rappeloit l’étiquette du temps jadis, proposoit une révérence de plus, une certaine façon de frapper à la porte de quelque antichambre, une manière plus cérémonieuse de présenter une dépêche, de plier une lettre, de la terminer par telle ou telle formule, il étoit accueilli comme s’il avoit fait faire des progrès au bonheur de l’espèce humaine. Le code de l’étiquette impériale est le document le plus remarquable de la bassesse à laquelle on