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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

quent de la liberté ; mais le besoin d’anéantir tous les rangs supérieurs tient aux petitesses de l’amour-propre. Bonaparte a très-bien connu l’ascendant de ce défaut en France ; et voici comme il s’en est servi. Les hommes qui avoient pris part à la révolution ne vouloient plus qu’il y eût des castes au-dessus d’eux. Bonaparte les a ralliés à lui en leur promettant les titres et les rangs dont ils avoient dépouillé les nobles. « Vous voulez l’égalité ! » leur disoit-il : « je ferai mieux encore, je vous donnerai l’inégalité en votre faveur ; MM. de la Trémoille, de Montmorency, etc., seront légalement de simples bourgeois dans l’état, pendant que les titres de l’ancien régime et les charges de cour seront possédés par les noms les plus vulgaires, si cela ploît à l’empereur. » Quelle bizarre idée ! et n’auroit-on pas cru qu’une nation, si propre à saisir les inconvenances, se seroit livrée au rire inextinguible des dieux d’Homère, en voyant tous ces républicains masqués en ducs, en comtes, en barons, et s’essayant à l’étude des manières des grands seigneurs, comme on répète un rôle de comédie ? On faisoit bien quelques chansons sur ces parvenus de toute espèce, rois et valets ; mais l’éclat des victoires et la force du