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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

malgré la terrible alliance du sang innocent, ne se crurent point unis irrévocablement au sort de leur maître. Il avoit fait de l’intérêt la divinité de ses partisans, et les adeptes de sa doctrine l’ont mise en pratique contre lui-même, quand le malheur l’a frappé.

Au printemps de 1804, après la mort du duc d’Enghien, et l’abominable procès de Moreau et de Pichegru, lorsque tous les esprits étoient remplis d’une terreur qui pouvoit en un instant se changer en révolte, Bonaparte fit venir chez lui quelques sénateurs pour leur parler négligemment, et comme d’une idée sur laquelle il n’étoit pas encore fixé, de la proposition qu’on lui faisoit de se déclarer empereur. Il passa en revue les différens partis qu’on pouvoit adopter pour la France : une république ; le rappel de l’ancienne dynastie ; enfin la création d’une monarchie nouvelle ; comme un homme qui se seroit entretenu des affaires d’autrui, et les auroit examinées avec une parfaite impartialité. Ceux qui causoient avec lui le contrarioient avec la plus énergique véhémence, toutes les fois qu’il présentoit des argumens en faveur d’une autre puissance que la sienne. À la fin, Bonaparte se laissa convaincre : Hé bien, dit-il, puisque