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CONSIDÉRATIONS

le pouvoir absolu, et tous les gouvernemens françois qui ont succédé à l’assemblée constituante ont péri pour avoir cédé à cette amorce, sous un prétexte ou sous un autre.

Au moment où Bonaparte voulut se faire nommer empereur, il crut à la nécessité de rassurer, d’une part, les révolutionnaires sur la possibilité du retour des Bourbons ; et de prouver de l’autre, aux royalistes, qu’en s’attachant à lui, ils rompoient sans retour avec l’ancienne dynastie. C’est pour remplir ce double but qu’il commit le meurtre d’un prince du sang, le duc d’Enghien. Il passa le Rubicon du crime, et de ce jour son malheur fut écrit sur le livre du destin.

Un des machiavélistes de la cour de Bonaparte dit, à cette occasion, que cet assassinat étoit bien pis qu’un crime, puisque c’étoit une faute. J’ai, je l’avoue, un profond mépris pour tous ces politiques dont l’habileté consiste à se montrer supérieurs à la vertu. Qu’ils se montrent donc une fois supérieurs à l’égoïsme ; cela sera plus rare et même plus habile !

Néanmoins ceux qui avoient blâmé le meurtre du duc d’Enghien, comme une mauvaise spéculation, eurent aussi raison même sous ce rapport. Les révolutionnaires et les royalistes,