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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

sans légitimité et sans limites ; un clergé qui n’étoit que le prédicateur du despotisme ; une noblesse composée des anciennes et des nouvelles familles, mais qui n’exerçoit aucune magistrature dans l’état, et ne servoit que de parure au pouvoir absolu.

Bonaparte ouvrit la porte aux anciens préjugés, se flattant de les arrêter juste au point de sa toute-puissance. On a beaucoup dit que, s’il avoit été modéré, il se seroit maintenu. Mais qu’entend-on par modéré ? S’il avoit établi sincèrement et dignement la constitution angloise en France, sans doute il seroit encore empereur. Ses victoires le créoient prince ; il a fallu son amour de l’étiquette, son besoin de flatterie, les titres, les décorations et les chambellans, pour faire reparoître en lui le parvenu. Mais quelque insensé que fût son système de conquête, dès qu’il étoit assez misérable d’âme pour ne voir de grandeur que dans le despotisme, peut-être ne pouvoit-il se passer de guerres continuelles ; car que seroit-ce qu’un despote sans gloire militaire, dans un pays tel que la France ? Pouvoit-on opprimer la nation dans l’intérieur, sans lui donner au moins le funeste dédommagement de dominer ailleurs à son tour ? Le fléau de l’espèce humaine, c’est