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CONSIDÉRATIONS

qui est jaloux du pouvoir comme d’une jouissance personnelle, convient aux cours, mais non aux nations. Un homme de génie, quand par hasard il se trouve à la tête des affaires publiques, doit travailler à se rendre inutile. Les bonnes institutions réalisent et maintiennent les hautes pensées qu’un individu, quel qu’il soit, ne peut mettre en œuvre que passagèrement.

À la haine de l’arbitraire, M. Necker joignoit un grand respect pour l’opinion, un profond intérêt pour cet être abstrait, mais réel, qu’on appelle le peuple, et qui n’a pas cessé d’être à plaindre, quoiqu’il se soit montré redoutable. Il croyoit nécessaire d’assurer à ce peuple des lumières et de l’aisance, deux bienfaits inséparables. Il ne vouloit point qu’on sacrifiât la nation aux castes privilégiées ; mais il étoit d’avis cependant qu’on transigeât avec les anciennes coutumes, à cause des nouvelles circonstances. Il croyoit à la nécessité des distinctions dans la société, afin de diminuer la rudesse du pouvoir par l’ascendant volontaire de la considération ; mais l’aristocratie, telle qu’il la concevoit, avoit pour but d’exciter l’émulation de tous les hommes de mérite.

M. Necker haïssoit les guerres d’ambition,